Bien que d’origine belge, Eliane Geren vit aux États-Unis depuis l’adolescence. J’ai eu la grande chance qu’elle soit de passage en Belgique et que, lors de ce passage chez nous, elle m’accorde un peu de son temps pour qu’on puisse faire cet entretien et parler de sa passion : la Communication Non Violente.

Voir l’entretien en vidéo :

Est-ce que vous pouvez nous dire, en quelques mots, ce qu’est la Communication Non Violente ?

C’est une façon de parler… Ce n’est pas vraiment seulement parler, c’est secondaire. La première chose c’est d’être en contact avec soi-même : qu’est-ce qui vit en nous ? Et qu’est-ce qui vit dans l’autre personne ?

On essaie de voir ce qu’il y a derrière les mots. Et alors on peut se connecter.

Parce que nous sommes tous humains, nous avons tous les mêmes besoins. Souvent, on ne sait même pas quels sont nos besoins. On n’a pas ça clairement en tête. La Communication Non Violente m’aide vraiment à être en contact avec moi-même. Et puis demander pour les choses dont j’ai besoin.

Donc à la fois ça nous aide à mieux nous connaître et pouvoir mieux communiquer, du coup, avec les autres.

Oui. Et deviner ce qui se passe, dans l’autre personne. On ne sait pas sûrement ce qui se passe. Donc on demande.

Alors qu’est-ce qui vous a amenée, vous, à vous intéresser à la Communication Non Violente ? Parce que… À vous intéresser, à vous former, à l’enseigner par la suite…

Je me rappelais tout juste, quand j’avais à peu près deux ans, en Belgique encore, j’avais une amie, et j’ai été très directe avec elle, pour lui demander quelque chose. Mais la façon dont je lui ai demandé quelque chose, ça l’a blessée.

Et donc… Nous sommes restées amies. Mais si j’avais eu ce que je sais maintenant, si j’avais pu lui parler, ça aurait été beaucoup plus facile de… « To fix the problem. »

De comprendre ce qui se passait et pourquoi elle avait mal pris ce que vous aviez dit.

Donc, d’abord, j’ai été institutrice. Puis j’ai été diététicienne. Et je voyais toujours qu’il y avait encore un problème. Et le problème, c’est que dans tout ce qu’on fait, on doit communiquer.

Finalement, j’étais chez moi, j’invitais des gens et on cherchait comment est-ce qu’on peut rendre la vie meilleure. Parce qu’elle n’est pas toujours facile.

Quelqu’un a apporté une vidéo de Marshall Rosenberg. Nous avons tous été vraiment étonnés.

De ce temps-là, il n’y avait pas encore le livre. Il y avait un tout petit livre, je l’ai commandé. C’était en 1992.

Et alors, en 1999, sept ans plus tard, il y avait le livre. Je l’ai étudié et je me suis dit « ouh, c’est vraiment… » C’est alors que j’ai commencé à étudier sérieusement. Et ça m’a vraiment beaucoup aidée.

Et ça vous a aidée dans votre vie professionnelle ? Vous avez dit que vous aviez été institutrice, puis diététicienne. En même temps, ou l’un après l’autre ?

Non, l’un après l’autre.

Donc à ce moment-là, c’est en tant que diététicienne que vous voyez un changement au niveau de votre façon de communiquer avec les gens qui vous consultent ?

Oui. Je travaillais dans un hôpital psychiatrique, de ce temps-là. Et souvent, quand j’ai appris, je me suis rendue compte que, quand j’essayais d’entendre ce qui était derrière les mots, donc ce que la personne voulait vraiment, elles étaient très touchées.

Il y avait de la bonne énergie.

Elles se sentaient sans doute mieux entendues, mieux comprises.

Oui, elles se sentaient entendues.

Et il y a cette partie-là, de s’entendre soi-même et d’entendre l’autre personne. Mais alors, on peut aussi… On apprend vraiment comment demander ce dont on a vraiment besoin.

Ce sont les besoins universels. D’être aimé, d’être accepté, d’avoir des proches relations, d’avoir la compassion, etc.

C’est ça que ça vous a donné envie d’aller toujours plus loin pour enseigner, à votre tour, la Communication Non Violente ?

Oui. Je voulais toujours qu’on ait la paix dans le monde. Mais je ne voyais pas comment. Enfin…

Je vois un système. Et il y en a plusieurs, je ne dis pas que la Communication Non Violente est la seule façon. Mais c’est en tout cas un très bon…

Une très bonne méthode. En tout cas, une piste qui peut vraiment aider. Parce que vous avez même été l’enseigner dans les prisons. Un milieu a priori particulièrement violent.

J’ai été dans les prisons pendant neuf ans. Et les hommes avec qui j’ai travaillé là, d’abord ils se disaient « oh, cette femme… » J’avais déjà un certain âge, pour eux. Parce qu’ils avaient… Enfin la plupart avait entre vingt ans et vingt-cinq, vingt-huit ans.

Voyons. Oui, il y a une fois… C’est trop long à expliquer. J’ai beaucoup de petites histoires de ce temps-là.

En avoir une, ça pourrait être très chouette !

Oui, voyons… J’étais en train de faire… Je ne sais pas comment on dit ça. Il y en avait un qui avait eu un problème avec un autre homme. J’essayais qu’ils s’entendent l’un l’autre. Mais ils avaient difficile.

Donc j’ai demandé à un de ces hommes : « Est-ce que je peux prendre ta place ? Je vais te montrer ce que je ferais. »

J’ai commencé, et après quelques instants il a dit « Non, ce n’est pas comme ça ! » Il s’est vraiment fâché. J’avais même un peu peur, vu la façon dont il s’est fâché.

Alors j’ai dit : « Tu es vraiment excité, parce que tu aimerais être compris d’une façon vraie, comme tu as été. » Il a dit : « Oui, oui, ça ce n’est pas juste du tout ! » Et blablabla.

Et j’ai continué à avoir de l’empathie. De l’entendre. Il s’est calmé.

Un peu après, il y avait le déjeuner. Le déjeuner arrivait, et les hommes aimaient toujours quand le déjeuner arrivait. Bien que la nourriture n’était pas fantastique. C’était au moins quelque chose à faire, manger.

Et il me parlait, je lui parlais, et je lui dis : « Écoute, si on continue à parler, tu vas manquer le déjeuner. » Et il m’a dit : « This is food, man, this is food. » Ceci, c’est de la nourriture.

Le même homme qui, avant, avait vraiment été fâché, à crier. Mais, c’est ça…

S’il avait été en colère à ce point-là, c’est peut-être parce que c’était justement une nourriture qui lui manquait bien plus que celle qu’on servait à la cantine à ce moment-là.

Oui c’est ça.

C’est une nourriture qui remplissait son âme, pour une fois.

C’est ça, oui.

Tout ça me donne vraiment du bonheur. Je vois qu’on peut, quand on est vraiment entendu, on peut devenir… heureux !

Oui, tout à fait. Vous-même, vous dites que la Communication Non Violente a rendu votre vie plus excitante et plus satisfaisante. Vous pouvez dire, plus précisément… Alors à quoi ressemblait votre vie avant, et qu’est-ce que ça a changé, par la suite ?

Rires.

Il y a des gens qui disent « Toi, tu n’as jamais été violente. » Mais ce sont les petites violences, même contre soi-même.

Donc pour moi, c’était plutôt que je pouvais vraiment être en contact avec ce dont j’avais besoin. Et faire des choses pour aller vers ça.

Donc j’étais plus vraie. Et j’ai pris des pas, dans ma vie, j’ai fait des choses que je n’aurais probablement pas faites avant. Parce que j’étais vraiment en contact avec les vrais besoins.

Je sais que c’est un peu abstrait ce que je dis.

Au commencement, mes enfants m’ont dit : « Tu n’as pas l’air de ma mère. Tu parles d’une façon un peu bizarre. »

Des fois, quand on commence à apprendre ça, ça a l’air bizarre. Parce que ce n’est pas la façon dont on a appris de parler.

C’est presque une langue étrangère.

Mais au fur et à mesure, quand j’ai appris plus… Je me rappelle, un jour, mon fils m’a dit : « Tu sais, je suis vraiment heureux que tu aies appris ceci. Parce qu’avant tu étais des fois difficile. »

Moi, je disais : « Moi, difficile ?! » « Mais oui, il dit, maintenant c’est beaucoup plus facile de… »

De communiquer.

Oui, de communiquer, oui.

Et du coup, ils s’y sont mis aussi, par mimétisme, à adopter le même genre de langage et à pouvoir s’écouter eux pour pouvoir entrer en communication plus facilement ?

Oui ! Mais ce qui est bien, c’est que personne ne doit faire. Je ne vais pas dire « vous devez apprendre ça ». Parce que c’est à moi d’être responsable de vous écouter d’une façon différente.

Et quand je vous écoute, probablement, vous vous sentirez écoutée. Et alors, ça va… Un point de la Communication Non Violente, c’est que, quand on fait cette connexion, qu’on s’écoute et qu’on écoute l’autre, souvent cette personne-là veut aussi nous donner, donc donner à notre besoin.

Donc c’est comme ça, ça se passe des deux côtés.

Et ça veut dire aussi que ça vous donne… Par exemple, si quelqu’un, malgré tout, vous agresse verbalement, ça vous donne un certain recul ? Une capacité à ne pas vous sentir agressée malgré que les paroles peuvent être blessantes ?

Ça, pas directement. Parce que nous sommes humains, et j’ai mes habitudes de vouloir me défendre. Mais oui, ça, de moins en moins je réagis. Parce que j’écoute, j’entends ce qu’il y a derrière ces mots.

Si quelqu’un me dit : « Tu es vraiment fainéante. », je me dis « Qu’est-ce qu’elle a besoin ? »

Donc : « Tu dis ça, parce que… Est-ce que tu attendais que je fasse quelque chose et je ne l’ai pas fait ? »

On est curieuse. On ne doit pas réagir en se défendant, mais avec la curiosité.

Votre réflexe, c’est de vous demander ce qu’il y a derrière les mots qu’elle emploie. Quel est son besoin à elle. Et du coup, ce n’est plus spécialement une attaque. Vous allez chercher ce qu’il y a derrière.

Oui.

Alors pour conclure cet entretien, je pose toujours la même question qui est de savoir quel serait votre conseil à vous pour une personne qui n’a pas complètement une vie passionnante et excitante, pas autant qu’elle le voudrait, mais qui ne sait pas quoi faire d’autre, ou qui a peut-être trop peur pour faire les changements nécessaires. Qu’est-ce que vous conseilleriez, vous, à une personne comme ça ?

La première chose que je conseillerais, c’est d’apprendre à se connaître soi-même. Et peut-être, réaliser les histoires qui ont été mises dans leur tête quand ils étaient petits enfants.

Par exemple « Tu dois être parfait », « Tu dois être gentil ». Toutes les choses « tu dois ».

Et alors, se dire, qu’est-ce qui va vraiment me donner le bonheur ?

Être en contact avec soi-même, c’est le plus important. Commencer là.

C’est ça.

Pour être vrai.

Parce que les « tu dois » ce n’est pas la vérité qui est à l’intérieur.

Non, non. C’est quelque chose que quelqu’un veut de nous. Et surtout s’ils ont l’autorité comme des parents, ou…

Des instituteurs…

Le roi. Dans le temps, on devait faire ce que le roi disait. Dans le temps… féodal. Enfin il y a longtemps.

Au Moyen-Âge.

Oui, au Moyen-Âge. Il y avait toujours l’autorité qui nous disait quoi faire. Mais on doit vraiment questionner ça un peu.

Aller faire le tri, au fond, entre ce qu’on a entendu qu’on devait faire et puis ce qu’on est vraiment.

Oui, oui.

Et pour arriver à trouver qui on est vraiment ?

En anglais, on appelle « self empathy ». Donc de l’empathie pour soi-même.

Et comment est-ce qu’on fait pour être empathique pour soi-même ?

On apprend, petit à petit. Si quelqu’un me dit quelque chose, chaque fois je dois me rendre compte… Si je ressens quelque chose dans mon corps qui dit « Ouh, il y a quelque chose qui ne va pas ». Je me dis « Mais pourquoi ? Quel est le besoin ? Est-ce que c’est le besoin d’être reconnu ? »

Alors je trouve le besoin, puis je me dis « Qu’est-ce que je peux faire pour remplir ce besoin ? » Et le respecter.