Christian Junod est auteur, coach, conférencier, formateur… Ce qui fait que j’avais très envie de faire cet entretien avec lui, c’est que je le trouve doublement inspirant.

Inspirant quand il parle de ce qu’il fait concrètement : parler d’argent, de notre relation à l’argent. Puisque la première fois que je l’ai découvert, c’était lors d’une conférence sur ce sujet.

Et puis, quand j’ai cherché à en savoir plus sur lui, je l’ai aussi trouvé très inspirant quand il parle de façon plus générale de ses activités. Parce qu’il en parle avec des mots très, très enthousiastes. Et parce qu’il a prononcé cette phrase, qui fait fort écho en moi, qu’il fait ce qu’il aime donc qu’il n’y associe pas, ou plus, le mot « travail ».

C’est ce parcours qui l’amène là, aujourd’hui, que nous avons retracé au cours de cet entretien.

Voir l’entretien en vidéo :

Tu as commencé par faire une carrière de plus de vingt ans dans la banque.

C’est bien ça, tout à fait.

D’ailleurs on précise toujours « ex-banquier suisse », peut-être pour expliquer l’accent… Alors la première question que j’ai envie de te poser c’est : pourquoi la banque ? Et pourquoi si longtemps si tu n’aimais pas ça ?

Bien sûr.

Alors, pourquoi la banque ? C’était, je dirais, presqu’un non-choix. Parce que tous les autres choix n’aboutissaient pas.

Je cherchais du travail, en sortant de l’université. J’avais fait une licence en sciences économiques. À un moment donné, comme j’étais au chômage depuis deux mois peut-être, je me suis dit : « Maintenant il reste les banques, on va aller voir les banques. » Donc c’était vraiment mon dernier choix.

Et il y en a une qui a bien voulu de moi comme stagiaire. J’ai fait des stages, plusieurs stages. Et j’ai fait le stage de conseiller en placements financiers et je me suis dit « ça y est, c’est ça ». C’était comme une évidence.

Avec le recul, je peux voir que ces choix ne sont jamais conscients, mais bien inconscients. Il y a une raison à ces choix-là.

Et pourquoi ce métier, parce que ce que j’aimais par-dessus tout c’était la relation avec les clients. De créer la relation de confiance.

J’ai vu que les gens qui amenaient de l’argent à la banque, ils amenaient bien plus que de l’argent. Donc la confiance est d’autant plus importante que c’était quelque chose de précieux qu’ils amenaient à un conseiller.

Et comme j’adore la relation, j’adore créer de la confiance. Donc quelque part j’étais au bon endroit.

Et j’étais à l’aise avec les chiffres aussi. J’aimais bien les placements. C’est un petit peu un Monopoly sérieux, et j’adorais jouer au Monopoly quand j’étais gamin. Donc je trouvais qu’il y avait un côté assez stimulant, assez amusant.

Donc, si tu veux, j’ai fait ce métier longtemps, mais ce ne serait pas juste de dire que je ne l’ai pas aimé. Pendant longtemps j’ai plutôt aimé ce métier-là. J’ai aimé le travail d’équipe que j’avais également.

J’avais une sorte de vrai intérêt qui, petit à petit a… Tu sais, des fois, pour certains, il y a un événement, d’un coup on n’aime plus quelque chose. Moi, ça n’a pas été mon cas. C’est quelque chose qui a décliné. L’intérêt a décliné, la motivation, l’enthousiasme décline… Et je vois que c’est le cas de beaucoup de monde.

En tout cas, dans le cas de la banque, à un moment donné on a eu toutes les avancées technologiques. Ce qui fait qu’on a pu commencer à tout surveiller, à tout contrôler, à voir ce qu’on faisait comme résultats…

Il y avait une sorte de « Big Brother » qui faisait qu’on était sans arrêt contrôlés. Et il y avait de moins en moins de liberté. De moins en moins de latitude, de marche de manœuvre en quelque sorte. Et de plus en plus de pression, surtout.

Ce qui fait que le métier que j’avais connu et que j’aimais au début… Même si j’étais toujours avec des clients dans un bureau c’était plus le même métier que je vivais. À cause de tout ce qu’il y avait autour.

Ce que je vois, c’est que dans beaucoup de domaines, que ce soit dans les hôpitaux, dans les écoles, dans beaucoup d’entreprises, les gens vivent la même chose. Les métiers ont changé, par plein de facteurs, ce qui fait que des fois, le métier, on peut l’aimer, mais on n’aime pas les conditions dans lesquelles on exerce ce métier. Et c’est difficile de trouver les conditions où on peut aimer ça, encore.

Et je crois qu’en même temps, tout en travaillant à la banque, tu t’es intéressé sur le côté à des choses dans le développement personnel.

Oui.

Donc peut-être que le métier a changé, mais peut-être que toi aussi tu as changé à l’intérieur, ce qui a d’autant plus agrandi ce fossé entre toi et ce métier ?

Oui, tout à fait, tu as raison. J’ai commencé en 1999 à faire du développement personnel. Donc à m’intéresser, en commençant de moi à moi, l’envie de comprendre mieux mon fonctionnement.

Et ce que je voyais, c’est que plus je faisais un travail sur moi, mieux j’apprenais à me connaître, mieux je comprenais les autres. Mes clients, ma famille également.

J’ai passé beaucoup, beaucoup de temps, tout en travaillant à 100 %, durant mes vacances, mes weekend – heureusement mon épouse venait aux trois quart avec moi, c’est même elle qui m’a amené là-dedans.

C’est devenu une autre forme de passion. Et je voyais que ça transformait ma relation avec mes clients. Et ça changeait ma manière de me positionner dans la banque.

Mais aussi, j’ai vraiment vécu un événement fort, quand même, quand je me suis rendu compte à quel point je n’écoutais pas une partie de moi qui appelait au secours. Au fond de moi, qui n’en pouvait plus.

J’aime bien donner cette image, parce que je crois qu’elle parle à beaucoup de monde : un jour j’ai pris conscience – c’est vraiment venu du fond de mes tripes – que je n’en pouvais plus de ce métier de conseiller en placements. Je n’en pouvais plus.

Et j’ai pris conscience ce jour-là que ça faisait des années et des années que… De temps en temps tu soulèves le couvercle de la casserole. Tu mets le nez, ça sent pas bon, puis tu remets le couvercle dessus.

Et le « ça sent pas bon » c’est, effectivement, je n’en peux plus de ces chiffres. Je n’en peux plus de cette pression, je n’en peux plus de ce travail qui n’a plus de sens.

Et en même temps, il y avait une autre petite voix qui venait du mental, avec ses peurs, qui disait : « mais tu es bien payé – ce qui est une réalité. Tes collègues sont sympa – ce qui est aussi une réalité. Tu as de bons contacts avec tes clients – c’est aussi une réalité. »

Mais ça ne suffisait plus.

Toutes des mauvaises excuses pour rester dans cette zone de confort, même si elle n’est plus si confortable.

Elle n’est plus confortable du tout. C’est une zone de connu, mais qui n’est plus confortable.

Si tu veux, je vois à quel point c’est impressionnant comment on peut se raconter des histoires. Je dis souvent que nous sommes de grands manipulateurs. Mais c’est nous que nous manipulons. À force de nous raconter des histoires pour remettre le couvercle sur la casserole, oublier un moment, jusqu’à ce que ça sente mauvais à nouveau et…

Cet aller-retour, je l’ai fait je ne sais pas combien de fois. Et ce jour-là, c’est venu du fond des tripes. En disant « si tu ne bouges pas, tu vas crever à petit feu. »

Mais bien sûr, si je dis ça, c’est que j’encourage chacun à ne pas attendre ce moment-là. C’est possible de faire ça avant. Mais ça demande d’être conscient, lucide. Et d’être prêt à affronter ses peurs.

Parce qu’à un moment donné… Tant que les peurs prennent le dessus, ça veut dire que les peurs sont le moteur de ma vie. Et ça, je ne souhaite ça à personne.

En même temps, il t’a quand même fallu un coup de pouce de l’extérieur, un licenciement, pour passer à l’action et changer de métier.

Absolument, oui. Ce qui s’est passé pour moi, c’est qu’au moment où j’ai eu cette crise identitaire, je me suis rendu compte qu’en terme de valeurs je n’étais vraiment plus ok de rester à la banque.

Je faisais gagner beaucoup d’argent à la banque, et un jour je me suis posé la question : « Tout cet argent que je fais gagner à la banque, en quoi contribue-t-il à un monde meilleur ? » Et je n’ai jamais eu de réponse.

Donc c’était impossible pour moi de continuer à faire quelque chose où je vois que ça n’a pas de sens.

J’étais prêt à rester à la banque seulement pour une raison : j’avais une toute petite activité que j’avais créée et développée moi-même, qui était de donner cours à mes collègues conseillers en placements sur la gestion des émotions, sur les peurs, sur ce qui se jouait de manière subtile dans les entretiens avec les clients…

Ce qui était tout mon chemin, tout le parcours que j’avais. J’étais allé voir le boss le plus haut possible pour lui dire « voilà, je fais ça, tout ce que j’apprends c’est génial et j’ai envie d’en faire profiter un maximum ».

Et j’ai eu la chance d’avoir un gars très ouvert qui m’a dit « c’est super, on va mettre ça en place. »

Ça représentait peut-être 3 % de mon temps de travail. Mais ces 3 %, j’étais aligné, j’adorais faire ça. Les gens adoraient venir là, qui était un endroit très intimiste, entre nous. Et c’était très nouveau, à la banque.

Je me suis dit que s’il y avait plus d’espace, moyen de mettre plus d’humain dans la banque, ça aurait du sens d’y rester aussi.

Et j’ai trouvé un poste où il y avait plus d’espace, mais… Je sentais déjà que c’était pas autant que je le voulais, mais je sentais que ça valait la peine d’essayer.

C’était important pour moi, ces deux ans. Je dis ça parce que je me rends compte que plus on reste longtemps dans une activité, plus on pense qu’on ne sait pas faire autre chose. Tu vois, ça, c’est un vrai piège.

C’est la seule chose qu’on sait faire, c’est la seule chose où d’autres auront un intérêt pour nous.

D’avoir complètement changé de métier pendant ces deux ans-là m’a montré que j’étais capable de faire quelque chose de très différent.

Je voyais beaucoup de responsables, et je voyais que j’avais, à tous, quelque chose à leur amener. Du fait de ma singularité, de ma capacité à sentir l’humain. Ça m’a vraiment boosté mon estime de moi, ces deux ans-là.

Ce qui fait que j’étais bien plus prêt deux ans après, quand je me suis fait virer, en 2009, suite à la crise des subprimes, avec 5000 autres. Donc j’étais bien plus prêt que je l’aurais été en 2006 ou 2007.

Prêt, parce qu’à ce moment-là tu le prends comme un cadeau, directement. Il n’y a pas le coup de semonce, il y a plutôt la bonne bouteille qui est débouchée pour fêter ça.

Avec un ami belge, d’ailleurs. Avec un ami belge qui était à la maison et qui m’a dit : « Je n’aurais jamais cru ça, une fois dans ma vie, ouvrir une bonne bouteille pour fêter un licenciement le jour-même. »

Et c’est ce que j’ai vécu avec lui. Parce qu’au fond, tu vois, je trouve que la vie est magique. Parce que quand tu es mûr, elle t’amène les bons événements. Pour moi, il s’est avéré que c’était un licenciement. Mais elle t’amène les bonnes rencontres.

Elle t’amène aussi les bonnes rencontres quand tu fais fausse route. Après, souvent, moi le premier, je ne veux pas le voir, parfois, aussi.

En tout cas j’ai vraiment vu ça comme un cadeau. Ce qui fait que la bascule a été confortable à vivre. Après, ça ne veut pas dire que tout a été facile du jour au lendemain, bien sûr. Ça a demandé du temps pour construire tout ça.

Je partais avec zéro réseau… Je savais un peu ce que je voulais faire, mais il y avait tout à construire quand même.

Une chose qui est souvent difficile dans une telle reconversion, c’est le côté financier. Je t’ai entendu dire que quand tu étais banquier et que tu gagnais très bien ta vie, ça ne t’empêchait pas d’avoir cette peur du manque. Que tu pouvais constater aussi chez tes clients, même s’ils étaient richissimes. Comment est-ce que tu as réglé ça, alors ?

Oui, la peur du manque… C’est une peur importante parce qu’encore une fois, elle n’est pas rationnelle. Dans la grande majorité des cas, ça n’a rien de rationnel. Je gagnais bien de l’argent.

Comme j’aime bien dire, « je ne gagnais pas ma vie ». Parce que ma vie, je l’ai gagnée à la naissance. Comme toi, d’ailleurs. Mais c’est une expression horrible, qui fait qu’on pense qu’on doit gagner sa vie. Donc sous-entendu, qu’on peut la perdre. Et la perdre, ça veut dire mourir. Perdre sa vie, ça veut dire mourir.

Donc je gagne de l’argent, mais l’expression utilisée la plupart du temps c’est « gagner sa vie ».

Donc en fait, je projetais ma sécurité sur l’argent parce que j’étais très insécure intérieurement. C’est pour ça que je courais après l’argent, pour compenser ce qui manquait à l’intérieur. Comme beaucoup d’autres, d’ailleurs.

Et en fait, aussi longtemps que je courais après l’argent, je ne m’occupais pas du vrai problème, qui était là, à l’intérieur de moi.

Donc j’ai eu à m’occuper de recréer de la sécurité à l’intérieur. Parce que j’étais insécure, il manquait de la sécurité intérieure. Ma confiance en moi, mon estime de moi, ma confiance en la vie, ma confiance que je suis capable de faire face aux événements que je ne connais pas, par essence, que la vie va m’amener.

Tout ça, au départ, n’était pas suffisamment solide. Ce qui fait que je m’accrochais au connu, comme je l’expliquais tout à l’heure. Donc j’ai eu à créer cette construction intérieure.

Et pour ça, je crois qu’il y a plusieurs manières de le faire. Mais celles qui me viennent, ça peut être de se faire accompagner. J’ai eu une femme qui m’a accompagné pendant presqu’une année. Il y a vraiment eu un avant, un après. Qui a fait un travail de me reconnecter à mon âme. Et d’aller retoucher cet endroit, à l’intérieur de toi, où tu sais que cet endroit il est tranquille, il est solide.

Donc ça a été très inconfortable à vivre. Et très nécessaire à vivre, aussi. Donc il y a eu ça.

Et puis une deuxième chose, quand on est dans une zone de connu, qu’on appelle « confort » mais qui est surtout du connu, ça demande d’apprendre à sortir pas après pas. De faire des choses qu’on n’a pas l’habitude de faire. « Ah ben oui, je vais aller dire à ce chef que ça ne me va pas, la manière dont il dit les choses. » Je vais faire des choses où avant, je restais petit dans mon coin.

Tu vois, tu commences à oser les choses différemment, un pas après l’autre. Et tu vois que ça marche, que tu es bien accueilli, etc.

Voilà, donc ça, j’ai fait systématiquement. Ce qui fait que j’ai élargi, élargi, élargi la zone du connu. Ce qui fait que l’espace où je peux naviguer, où je peux m’amuser, est toujours plus grand.

Et je continue de le faire maintenant, d’ailleurs. À travers d’autres formes de choses. Je repousse toujours ces limites plus loin.

Et ça, ça renforce vraiment cette estime de moi. Cette confiance dans ma capacité à faire des choses nouvelles, que je n’imaginais pas du tout il y a deux ans, trois ans, cinq ans.

Donc c’est vraiment oser sortir de ça. Ça commence par des petits pas, pas des spectaculaires. Ce peut être à travers le fait de nommer les choses. Oser dire non. Faire des choses sportives qu’on ne faisait pas avant. Se lancer dans une nouvelle formation… Il y a dix mille manières de faire.

Ouvrir les portes sur le nouveau, au fond. Et puis les choses viennent aussi un peu… à soi.

Absolument, tout à fait.

Un autre obstacle qui revient souvent, chez les personnes qui auraient envie de se réorienter, c’est le fameux « ah oui, mais j’ai des enfants, donc je ne peux pas me permettre de démissionner. Ou de changer de boulot, etc. ». Des enfants, toi, tu en as trois. Au moment où tu te réorientes, ils sont en plus aux études. Mais ça n’a pas été un obstacle, ça, pour toi.

Non, non, tout à fait. Ça, je l’ai tellement souvent entendu : « Je le ferais bien ».

Quand je suis parti de la banque – je dis toujours « parti », parce qu’on me proposait toujours un job ou l’autre à la banque, et je disais non, non, maintenant je ne fais plus que ce que j’ai envie. Donc voilà.

Et je me souviens, des collègues me disaient : « Je ferais bien comme toi, si je n’avais pas les enfants. »

Je les entendais, mais je ne les croyais pas vraiment. Pourquoi ? Parce que j’aurais pu dire exactement la même chose.

Je veux vraiment que les gens qui écoutent sachent que je n’ai aucun jugement là-dessus. Parce que j’aurais pu dire exactement la même chose, pendant longtemps.

Et c’est vrai que quand on a des enfants, on ne fait pas n’importe quoi. C’est vrai aussi. Simplement, ce que je vois, c’est que tant que je dis « je ne peux pas parce que j’ai les enfants », j’ai une excuse à l’extérieur de moi.

Et des fois, je posais la question aux gens : « Tes enfants, jusqu’à ce qu’ils aient fini leurs études, ça va durer combien de temps, à peu près ? » « Oh, dix, douze ans, peut-être quinze ans… » Je dis « Waw, ça va être long, quand même ! » C’est de la prison sans sursis, quelque part, tu vois ?

Tu as une excuse extérieure, qui fait que tu es prisonnier d’une situation extérieure. Alors qu’en fait, je posais la question : « Est-ce que tu connais des personnes qui ont des enfants et qui ont osé faire ce pas-là ? » « Ah oui, j’en connais. » « Ah bon, alors ça a l’air d’être possible, quand même. »

Tout le monde n’est pas condamné à… Ça a l’air d’être possible.

Parce qu’en fait, ce que j’ai vraiment vu, et ce qui manque, en fait, les enfants c’est une excuse qu’on se trouve. Encore une fois, on ne fait pas n’importe quoi. Mais la vraie raison, en ce qui me concerne, et beaucoup d’autres, c’est qu’il me manque du courage intérieur.

Et tant que je n’ai pas ce courage, tant que je n’ai pas cette foi en moi, cette estime de moi, cette confiance que j’ai de déplacer des montagnes. Pour un Suisse, c’est une bonne expression. Et, en quelque sorte, je ne vais pas oser faire ce pas, et je vais trouver des excuses à l’extérieur.

Le problème, ce n’est pas de dire ça. C’est de continuer à dire ça. Parce que tant que je dis « j’ai les enfants », je ne m’occupe pas de ce qui me manque pour créer, trouver ce courage à l’intérieur. C’est là où je deviens passif.

Moi, j’ai envie de dire non : ça me fait peur, ça me fait peur pour mes enfants. Mais comment est-ce que je peux aller construire quelque chose de plus solide. Qui fait que les enfants ne sont plus le problème.

C’est vrai que, comme tu dis, j’avais trois enfants. Deux enfants « à charge », horrible expression aussi, pour nos pauvres enfants.

Ça leur met une charge sur les épaules de dire ça, en fait.

Absolument, mais bien sûr ! Il y a des personnes qui disent « mon père, ma mère, m’a bien fait comprendre que si je n’étais pas là, ils auraient fait autre chose de leur vie. », tu vois ? C’est horrible, des choses pareilles.

Parce que c’est faux ! Ce n’est pas vrai. C’est qu’il manque quelque chose. Pour les hommes, il nous manque des couilles. L’expression est forte, mais il nous manque des couilles, pour les hommes. Les femmes, elles trouveront l’expression elles-mêmes.

C’est à un autre endroit que ça se passe, quoi. Donc ça demande la lucidité de se dire « oui, il me manque encore du courage. Il me manque de l’estime de moi. » Donc comment est-ce que je me mets en chemin pour construire ça ? C’est bon pour moi, et c’est bon pour tous ceux qui m’entourent.

Ton premier livre, d’ailleurs, c’est Ce que l’argent dit de vous. Ce qui signifie que l’argent, notre rapport à l’argent peut être une porte d’entrée pour se connaître d’une façon plus générale ?

Oui, tout à fait. La relation à l’argent est une porte d’entrée très puissante. C’est pour ça que je l’aime beaucoup. Parce qu’il permet de nous rencontrer dans la profondeur de qui nous sommes.

Tu vois, parce que les peurs liées à l’argent, c’est pas des petites peurs en surface. C’est pas « j’ai peur de mettre le pied dans l’eau froide », quoi. C’est quelque chose de beaucoup plus profond.

Je te parlais tout à l’heure de mon exemple, moi ça parlait de mon manque de sécurité. Et quelque part, ce manque de sécurité intérieure, c’était le moteur de ma vie ! J’avais tellement d’actions vis-à-vis des autres, que ce soit la famille, les proches et tout ça… qui ne venaient que de cet endroit-là.

D’autres, ils vont vouloir compenser par l’argent leur manque de liberté. La liberté, en eux, de faire ce qui est bon, de se positionner sur ce qui est juste. D’oser faire des choix, même s’ils sont inconfortables à l’extérieur, ou pour d’autres.

Si tu veux, tu n’imagines pas le nombre de fois où il y a des peurs de mort qui sortent des ateliers sur la relation à l’argent. Parce qu’on a l’impression que sans argent on va mourir. On revient à l’expression « gagner sa vie ». On a peur de perdre sa vie.

Tout ça fait que notre relation à l’argent conditionne beaucoup, beaucoup plus notre vie que nous ne l’imaginons.

C’est pour ça que je trouve intéressant d’aller se poser des questions pour justement retrouver plus de liberté. D’ailleurs le titre de mon deuxième livre, coécrit dans ces locaux avec Evelyne Faniel, Enfin libre d’être soi-même, est parlant. C’est vraiment le pas d’après.

Et un troisième titre, c’est dans ta casquette de formateur. Ce nom de formation « Ami avec l’argent ». C’est quoi, être ami avec l’argent ?

Oui, donc être ami avec l’argent, déjà, ça demande de voir l’argent pour ce qu’il est. Parce que tant qu’on a des projections inconscientes sur l’argent, ce qui est le cas d’au moins 95 % des gens, au moins. Donc moi, je projetais ma sécurité. D’autres la liberté, d’autres « l’argent est source de conflit », « l’argent c’est sale »…

Quelque part, on ne voit pas l’argent pour ce qu’il est, on voit l’argent pour la projection. L’argent c’est ma liberté, c’est ma sécurité, et je m’y accroche.

Ce qu’il est important de voir avec les histoires d’argent, c’est que le moteur de nos comportements avec l’argent n’a rien à voir avec l’argent. Ça a à voir avec ce que nous projetons sur l’argent.

Donc si je projette ma sécurité j’ai tendance à m’y accrocher. Si je projette sur l’argent que c’est sale, j’ai tendance à le repousser. Voilà, pour résumer de manière très simpliste, ou en tout cas rapide.

Autrement dit, quand on peut commencer à décoller ce que je projette sur l’argent, je peux voir l’argent sans tout ce que j’ai collé dessus. Je peux avoir un regard plus neutre avec l’argent.

Ce qui fait que l’idée, pour moi, d’être ami avec l’argent, c’est d’abord de voir l’argent pour ce qu’il est. Pas pour tout ce qu’on colle dessus. Et surtout, de faire de l’argent un allié à nos projets professionnels.

Moi, mon objectif, par rapport à ce que tu partages, ce que tu proposes de faire aux personnes, qui est extrêmement précieux comme activité que tu proposes. Moi, c’est tout à fait en parallèle, de dire j’ai envie que l’argent soit un compagnon de vie, sur notre chemin de vie, sur nos projets de vie, qu’ils soient professionnels ou autres. Plutôt que quelque chose qui bloque, qui empêche, qui freine. Ou une source de stress, une source de tension. Qui fait que même si j’ose faire le pas, je suis sans arrêt stressé, je pense sans arrêt à l’argent.

Et puis il y a trop de choix qui sont faits pour des questions d’argent. Plutôt que d’en endroit beaucoup plus apaisé, beaucoup plus tranquille à l’intérieur.

Et justement, comme tu dis, par rapport à ce que je propose aux personnes que j’accompagne, qui est d’aller chercher le projet qui leur correspond vraiment, il y a souvent, quand on met le doigt sur « ce serait bien ça » ça fait WAW, ça se voit, et puis après ça fait très souvent « oui mais ça, j’aime faire, c’est facile pour moi, donc je ne peux pas être payé pour ». Qu’est-ce que tu réponds, toi, à ça ?

Alors là, ça vient toucher une autre croyance qui est courante, que je rencontre particulièrement chez les thérapeutes, chez les coaches, chez les artistes, aussi. Qui est de dire : j’ai tellement de plaisir dans ce que je fais que je peux difficilement demander de l’argent en contrepartie.

C’est comme s’il y avait une croyance derrière que l’argent se méritait par de la souffrance. Et comme je ne vis pas de souffrance, parce que j’aime ça, c’est comme si je ne méritais pas d’argent.

Alors ou bien les personnes vont se créer de la souffrance absolument inutile. Mais on va s’agiter un peu plus que nécessaire pour montrer, vis-à-vis de soi, vis-à-vis de l’extérieur, que notre travail c’est pas aussi cool que ça. Pour se donner bonne conscience.

Un autre cas typique c’est les gens qui ont tendance à mettre des prix bas, à faire des rabais pour un oui pour un non, à faire de la gratuité pour un oui ou un non. Parce que ça vient de leur malaise d’oser demander de l’argent alors qu’elles font quelque chose qu’elles aiment.

C’est vraiment comme s’il y avait une croyance derrière que l’argent se mérite comme une compensation à la souffrance. C’est un salaire, un sale air.

Et c’est quelque chose d’assez judéo-chrétien ça, aussi. Le Paradis se méritait par donner sans compter aux autres. En s’oubliant au passage, souvent. Moi, je n’ai jamais entendu que le Paradis se méritait en s’éclatant dans la vie, par la joie…

Et puis il est plus difficile pour un riche d’entrer au Paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille.

Voilà, tu vois. C’est ce genre de chose-là qui montre bien que l’argent c’est vraiment quelque chose de pas bien.

Alors que pour moi, c’est vraiment important de différencier, de s’autoriser à gagner de l’argent sans limite, comme une conséquence et pas comme un but en soi. Dès qu’il y a un but en soi, j’ai vécu ça à la banque, il y a des problèmes d’éthique. Inévitablement.

On va faire des choses limites, voire hors limites, parce qu’on veut gagner de l’argent comme un but en soi.

Alors que comme c’est une conséquence, ça veut dire que je me focalise sur ce qui me passionne. Je me focalise à l’endroit qui génère de l’enthousiasme et de la joie. Et la conséquence c’est que j’ai peut-être bien plus de succès que je l’aurais imaginé. Je vais gagner peut-être bien plus d’argent que je l’aurais imaginé.

Si j’écris des livres, c’est pas dans le but qu’ils soient lus par 300, 500 personnes. Je veux qu’ils y ait des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, des millions de personnes qui le lisent. C’est ça, l’objectif.

Ça arrivera, ça n’arrivera pas… Il y a ma part, il y a ce qui ne m’appartient pas. Ce que je veux dire par là, c’est que je ne vais pas m’empêcher de gagner beaucoup d’argent en vendant beaucoup de livres, parce que ça me ferait gagner beaucoup d’argent. Ça n’a pas de sens.

J’ai envie de contribuer à un maximum de monde. Et plus je pourrai contribuer à un maximum de monde, plus la conséquence sera, en principe, que je gagnerai beaucoup d’argent. Mais c’est une conséquence.

Une chose, d’ailleurs, dans ce que tu fais, puisque tu le dis, tu as envie que les personnes soient libres, aussi, de faire ce qui leur plaît vraiment. Et que l’argent ne soit pas un frein. Je t’ai aussi entendu dire que, finalement, la façon dont fonctionne le monde – et le monde ne fonctionne pas toujours d’une façon extraordinaire – est liée à la façon dont nous fonctionnons avec l’argent. Donc, au fond, tu t’inscris dans un créneau, et tu poses ta pierre, mais à quelque chose de beaucoup plus vaste que ça. C’est ça aussi qui fait que tu aimes autant ce que tu fais maintenant ?

Oui, si tu veux, l’argent en tant que tel, en tant qu’invention de l’être humain, ne m’intéresse pas plus que ça. Puisque ça a été créé pour faciliter les échanges, etc.

C’est une création que je trouve très pratique. Dans ce sens-là, j’en suis très content. Mais je veux dire par là que ce qui m’intéresse, comme c’est une porte d’entrée qui me permet d’aller à la rencontre d’êtres humains d’une façon si profonde, si authentique, si vulnérable et si touchante que c’est ça que j’aime.

Je suis spécialiste en Communication Non Violente, en plein d’autres domaines. Mais je n’ai pas réussi à trouver une porte d’entrée qui va aussi vite.

Et ce que je trouve extraordinaire, quand on transforme sa relation à l’argent, c’est que ça transforme bien souvent nos relations aux autres. Ça transforme tellement de choses… notre relation à la vie, notre confiance en la vie…

Ça a un impact tellement plus grand que juste notre relation à l’argent, c’est ça que je trouve magnifique dans ce thème-là.

En même temps, tu dis une porte d’entrée extraordinaire, mais c’est aussi un super gros tabou, l’argent. Tu n’es pas souvent confronté à des personnes qui ne veulent pas aller chercher là-dedans ? Qui ne veulent pas parler de ça ?

Alors je dirais que ces gens-là, je ne les vois pas à mes ateliers. Ils ne sont pas prêts à y aller.

L’intuition que j’ai, c’est que, au moins 95 % des gens n’ont pas conscience qu’ils ont une relation à l’argent. Ils n’ont pas conscience. Ça veut dire qu’ils n’ont pas conscience non plus que l’argent les drive, les mène bien plus que eux ne mènent l’argent.

Si on en est à ce point-là, c’est parce que l’argent est comme un non-thème, en quelque sorte. On n’en parle pas autour de la table, on n’a pas dû en parler en famille… C’est comme ça.

Il ne faut pas montrer si on a de l’argent, parce qu’on peut se faire jalouser. Si on n’en gagne pas assez, ne pas le montrer parce qu’on pense qu’on n’est pas capable de se débrouiller. Ou ça parle de ma valeur, de mon estime de soi.

Donc il y a plein de trucs qui se jouent. Les gens surendettés, souvent, sont dans la honte. Donc ils se cachent. Alors qu’au contraire, au moment où ils osent en parler, ça fait du bien. Parce qu’il y a quelque chose qui se libère.

Donc il y a tellement de trucs qui se jouent, comme ça, de manière subtile, que moi, mon premier job, c’est déjà de faire prendre conscience qu’un maximum de personnes ont une relation à l’argent. Qu’elle a beaucoup plus d’influence qu’ils ne l’imaginent dans leur vie. Et peut-être que ça vaut la peine de s’en occuper.

Et si on s’en occupe, j’ai plein de témoignages qui disent « oui, ça change notre vie ».

Alors pour clôturer cet interview, ma question conclusion, c’est : si tu penses à quelqu’un qui nous écoute et qui sent bien qu’il n’est pas tout à fait à sa place, qui n’a pas un job tout à fait enthousiasmant mais qui ne sait peut-être pas quoi faire, et/ou qui est bloqué par des peurs, quel serait ton conseil, peut-être juste, vraiment, une fois que la vidéo s’éteint, qu’est-ce qu’il peut faire, un premier acte à poser, une première chose, pour amorcer quelque chose de nouveau ?

Je pense que quand les personnes ne se plaisent pas au travail, pour moi, ce qui a été fondateur, et j’entends Thomas d’Ansembourg, un Belge bien connu également, qui en parle aussi, c’est, à un moment donné, se dire un « oui » à soi-même.

C’est-à-dire, se dire « oui, je ne veux plus ce travail ». Oui, je me mets en route pour trouver autre chose.

Aussi longtemps qu’on ne se dit pas ce « oui » à soi-même, c’est comme si on ne générait rien d’extérieur qui va venir vers nous.

Et au moment où on se dit ce oui à soi-même, je ne sais pas ce que je vais faire, mais je me mets en route.

Et là, la magie de la vie va faire que tout à coup on va faire la bonne rencontre. On va tomber sur un article qui va nous parler. Il y a quelque chose qui va se passer.

Parce qu’au moment où je dis ce oui, j’ouvre quelque chose en moi. Et c’est comme si je créais un espace pour que ça vienne à moi.

Quand je suis pris dans mes anciens schémas, fermé, c’est comme s’il n’y a rien qui me touche, dans les signaux qui pourraient m’amener.

Après, moi j’invite vraiment à se faire accompagner. Parce que je pense effectivement que le regard des autres est vraiment important. Que ce soit des personnes comme toi, que ce soit en individuel, ou le travail en groupe…

De se mettre dans des groupes de gens qui sont dans la même dynamique. C’est tellement bon de se sentir enthousiasmé. De sentir qu’on est beaucoup à avoir envie d’autre chose. De voir ce que les gens font. Dire « ah oui, c’est inspirant, ça me donne envie ». Pour ne pas se sentir seul.

Parce qu’on peut vite se sentir seul quand on est dans cette démarche de vouloir cette autre chose-là. Donc d’aller chercher ça, en soi.

Et puis, vraiment, ce travail intérieur qui ne se termine jamais. Et vraiment, de savoir que, quand on sort de sa zone de confort, ça va venir nous chercher. Ça va ouvrir de nouveaux espaces à aller voir.

Moi je vois que plus je m’autorise à aller voir mes peurs… Pas plus tard que ce matin, je vois qu’il y a des peurs qui sont encore là. Je m’autorise à aller les voir. À voir ce qu’elles disent de moi. Je fais quelque chose de plus libéré.

Chaque fois, il y a quelque chose de plus que je… Je vois à quel point je suis chaque fois plus moi-même. Plus dans la joie. Et cette confiance tranquille.

De toute façon, on n’est jamais au bout du chemin des peurs et de se connaître soi.

Non, et le chemin… C’est ça qui est beau, c’est le chemin.

Je ne sais pas où il me mènera. Je n’en ai aucune idée. Et ça n’a aucune importance. Mais le chemin est déjà joyeux en soi, c’est suffisant.

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