Ilios Kotsou est docteur en psychologie, chercheur, spécialiste du bonheur et des émotions. Il est aussi conférencier, auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, animateur, conteur à ses heures…

La première fois que j’ai vu Ilios, c’était dans les émissions – qui datent d’il y a quelques années – qu’il a faites avec Fréféric Lopez : Leurs secrets du bonheur. Lors de la première émission, je découvre qu’il y a un Belge, chercheur à l’université, dont le thème de recherche est le bonheur.

À ce moment, je me suis dit : « C’est incroyable, il y a des gens qui ont des métiers extraordinaires ! Si j’avais la chance de le rencontrer, j’aurais plein de questions à lui poser. »

Je ne savais pas encore, à l’époque, qu’un jour, ce genre de réflexion entraînerait un passage à l’action. Encore moins un « oui » à ma demande…

Voir l’entretien en vidéo :

La première question que j’ai envie de te poser, c’est : comment en vient-on à s’intéresser au bonheur ? Pas comme monsieur et madame tout le monde qui a envie d’être heureux, mais s’intéresser au bonheur d’une façon scientifique, et pour en faire son métier ?

Alors tu dis « pas comme monsieur et madame tout le monde »… Je crois que c’est toujours un mélange de choses. Des histoires de vie.

Mes histoires de vie difficiles, donc certainement mes souffrances et mes douleurs de la vie. Mes histoires de vie joyeuses. C’est un mélange de tout ce qui m’est arrivé.

Mes motivations : j’étais intéressé par l’humain. Déjà tout petit, je m’amusais à résoudre les problèmes de mes petits camarades. Donc peut-être qu’il y avait là, déjà, un intérêt pour l’humain.

Puis des rencontres. Des rencontres que j’ai faites. Dans des livres : Milton Erickson, Paul Vaslavick, et plus tard d’autres. Et puis des rencontres humaines, de gens qui m’ont tendu la main. Dont Jean-François, par exemple, un ami médecin qui, au sortir de l’adolescence, au moment où j’avais perdu mes parents, me passait des livres sur le développement personnel.

On passait un moment ensemble, une fois par mois, on échangeait là-dessus. Donc sans jamais rien me dire, il m’a encouragé. Il a nourri cette fibre. Il a cru, avant moi, en ce à quoi j’étais capable, ce vers quoi j’avais envie d’aller.

Je pense que c’est toujours un mélange de tout ça : des expériences de vie. Peut-être de motivation profonde, et puis de rencontres magiques de l’existence, qui nous font aller vers quelque chose.

Alors de manière aussi plus précise, pourquoi la science, c’est que comme beaucoup d’entre nous, j’étais passionné par cette question du bonheur. De me rendre compte qu’il y a des personnes qui – ce que je vais dire est tout à fait banal – bien qu’elles aient des moyens de vie tout à fait décents, parfois des gens qui les aiment, une famille qui les aime, un travail intéressant, des conditions de vie favorables, étaient profondément malheureuses.

Et d’autres qui, malgré que leurs conditions de vie étaient beaucoup moins intéressantes, qui avaient souffert de maladies graves et ainsi de suite, paraissaient tout à fait heureuses.

Cette interrogation qu’on a tous : c’est quoi le bonheur ? Est-ce qu’on peut le cultiver ? D’où vient le bonheur ? Et ainsi de suite…

Et qu’il y avait de la science, là-derrière. Au-delà des croyances qu’on pouvait avoir, il y avait des gens qui mettaient ça à l’épreuve de protocoles d’expérimentation. Pour permettre, peut-être, de comprendre.

Il y a d’une part la philosophie, le développement personnel, et puis il y a la science qui met ça à l’épreuve des faits. Et donc c’est faire le lien entre les deux qui m’intéressait.

Une autre chose, par rapport à cette question du bonheur. Ce que je trouve passionnant c’est qu’elle a toujours intéressé. Dans la Grèce Antique par exemple, cette question du bonheur était déjà centrale. Le chemin de la vie bonne.

Et je pense que chacun, chacune d’entre nous, quand on a des conditions de vie qui nous le permettent en tout cas, parce qu’il y a des personnes qui sont tellement en lutte, simplement pour survivre, bien sûr. Mais sinon, cette question, elle est fondamentale : qu’est-ce qui peut nous permettre d’avoir une vie plus épanouissante, plus riche, plus belle, plus juste.

Et justement, je pense qu’il y a un des ingrédients du bonheur… Un des principaux ingrédients du bonheur c’est d’avoir le sentiment que notre vie a du sens. Au fond, pourquoi ? Et comment fait-on, si on a l’impression que notre vie n’a pas de sens ?

Je pense que c’est vraiment important, ce sentiment que notre vie vaut la peine d’être vécue. C’est certainement le point central, j’ai l’impression, du bonheur.

À nouveau, je crois que parmi les gens qui vont nous écouter, nous regarder, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup qui fassent cette confusion, et en même temps elle existe, cette confusion entre le plaisir et le bonheur.

Est-ce que le bonheur c’est quelque chose ? Est-ce que le bonheur c’est quelque part ?

On ne peut pas passer à côté de ce questionnement-là. Parce que le monde dans lequel on vit, par certains de ses côtés, notamment le côté commerçant qui veut nous vendre des choses en nous vendant l’idée qu’elles vont nous rendre plus heureux.

Ou aller quelque part. Le bonheur serait une direction à atteindre. Quelque chose qu’on peut acquérir. Si on regarde autour de nous, apparemment, ça ne fonctionne pas très bien. Puisqu’on a beau acquérir un nouvel objet, une nouvelle position, une nouvelle situation… Elle nous rend plus heureux combien de temps ?

Le plaisir, je pense, c’est une composante d’une vie heureuse. Bien sûr. Le plaisir n’est pas une chose à rejeter.

Je pense que le plaisir est un marqueur, aussi, d’intérêt. Les choses qui nous font plaisir sont souvent des choses intéressantes. On a du plaisir à être avec quelqu’un qu’on aime bien. Moi j’ai du plaisir à être ici, en interview avec toi. Et en même temps, ça donne du sens à mon existence.

Je pense que le sentiment fondamental que notre vie vaut la peine d’être vécue, c’est vraiment là que réside la part la plus importante de notre bien-être.

Tu distingues le plaisir, où c’est ponctuel, et le sens qui est quelque chose de plus global.

C’est qu’on peut avoir le sentiment que notre vie vaut la peine d’être vécue. Quand bien même elle serait ponctuée de moments difficiles. Qu’on aurait de la tristesse, de la douleur, qu’on aurait des conflits, qu’on aurait des moments compliqués.

Donc le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue, il est plutôt à voir dans notre manière de marcher. Si on prend la métaphore du but, ou du chemin.

On pourrait dire, le bonheur, comme but, c’est : je veux aller au sommet de cette montagne, là-bas. Et en même temps, c’est important d’avoir un but, pour nous mettre en route. Ce n’est pas à rejeter.

Mais si on met tout le bonheur dans la montagne, on peut être très, très déçu quand on arrive en haut. Parce que ça ne ressemble pas à ce à quoi on s’attendait. Parce qu’il y a du brouillard ce jour-là. Pour mille et une raisons, on est déçu. Et puis assez frustré. Alors on en veut une autre.

En plus, pendant toute la route, alors, on est dans la galère.

On oublie, juste parfois, de regarder où on met les pieds. Et on a des accidents.

On oublie de savourer la beauté du paysage, on oublie de prendre soin des personnes qui marchent avec nous. Qui sont certainement la part la plus importante du bonheur. On oublie tout ça.

Donc l’idée, bien sûr, c’est d’avoir un cap, un but et ainsi de suite. C’est intéressant, le plaisir de savourer. Mais dans notre manière de marcher, je pense que réside vraiment le bonheur.

Quand on dit « le bonheur n’est pas le but, le bonheur est le chemin », pour moi, pour être encore plus précis, le bonheur est dans la manière de marcher. C’est comment est-ce que je marche sur ce chemin-là.

Évidemment que si je suis ouvert, et attentif, et bienveillant, il y aura davantage de plaisir. Parce qu’il y aura le plaisir de savourer le paysage, le plaisir des fleurs, le plaisir de la compagnie.

Au fond, je me rends compte en te parlant que les oppositions n’ont pas beaucoup de sens. Je pense qu’il ne faut pas opposer bonheur et sens. Les deux peuvent aller très, très bien ensemble.

Un engagement vers quelque chose qui donne du sens à ma vie. Et le plaisir de toutes les belles choses dont je peux bénéficier. Mais c’est l’idée de dire « je ne vais pas chercher le plaisir juste pour le plaisir ».

On pourrait se dire, alors, uniquement dans les plaisirs matériels, ils sont très fugaces, de courte durée. Et peut-être qu’ils ne donnent pas un bonheur profondément satisfaisant. Mais après, ce n’est pas le rejet non plus du plaisir.

En tout cas, dans mon cas, le plaisir de partager un bon thé blanc, c’est plein de plaisirs différents. C’est le plaisir de l’échange, de la rencontre avec toi. C’est le plaisir du goût, de l’arôme, de la saveur. Il y a tous ces plaisirs-là.

Et je pense aussi qu’il y a une idée, dans le bonheur, c’est le plaisir pleinement vécu. C’est une question d’instant présent. C’est-à-dire que je suis pleinement présent là, à ce que je vis.

Et donc c’est pas juste « je veux le thé parce que je rêvais du thé ». Puis je bois le thé sans même y faire vraiment attention. Et puis je rêve d’autre chose. Un plaisir de consommation, toujours. Et d’insatisfaction.

Et puis il y a le plaisir dans la jouissance des choses. Je trouve que c’est un joli mot, d’ailleurs, la jouissance. La jouissance des choses, c’est être pleinement présent à la chose. Je peux pleinement jouir du thé. Pleinement jouir de ce qui est là, en ce moment.

Ce qui n’est pas en opposition, bien sûr, avec avoir un but, un objectif, se mettre en route… J’ai l’impression que c’est les deux, en fait.

Comment est-ce qu’on va marier les deux ?

Toi qui t’intéresses aux personnes en changement de vie, en transition et ainsi de suite… C’est comment est-ce qu’on peut réconcilier les deux, au fond ?

Parce qu’il n’y a pas d’obligation, en tout cas, que ça s’oppose.

Non, complètement.

Tu parles, très gentiment, du fait que cet interview participe de ce qui donne du sens à ta vie. Alors il y a la recherche. Puis tout ce que tu transmets dans tes conférences, dans tes livres. Il y a aussi l’association Emergences que tu as fondée avec ta compagne pour œuvrer pour un monde plus solidaire et plus conscient. Ce côté contribution, c’est tout ça aussi qui donne du sens à ta vie ?

Oui ! En même temps j’écoute tout ce que tu dis, tous ces liens qui sont dans ma tête… Je me dis oui, bien sûr, il y a tout ça.

Si on revient à la question du sens, au fond, c’est : qu’est-ce qui est vraiment important pour moi ? Et donc il y a bien sûr le fait de pouvoir contribuer. Puisque le fait de pouvoir contribuer au bien-être des autres me fait du bien. Donc bien sûr que c’est quelque chose qui est important pour moi.

Je pense à ma fille, à tous les enfants : comment est-ce qu’on va leur laisser un endroit, une planète, peut-être en tout petit peu meilleur état que celle dans laquelle on est aujourd’hui. Peut-être, en tout cas, pas dans un état pire que celle sur laquelle on vit aujourd’hui. Il y a cette contribution-là.

Et il y a la joie qui va avec le fait de contribuer.

Je pense que fondamentalement, pour moi, la joie est une part du bonheur. Non pas parce qu’on doit la rechercher. Mais parce que lorsqu’on est engagé sur un chemin qui a du sens, la joie est là.

Pour moi, on ne doit pas chercher la joie en se disant « je veux être joyeux maintenant ». Mais elle vient.

Je pense que la joie, c’est comme une source qui est là, en nous. Par moment, on s’en éloigne. On n’a plus que le son lointain de la cascade, de cette petite source intérieure. Et parfois, elle est très, très présente.

Parfois elle est très présente sans qu’on doive y penser. Je pense que c’est quelque chose qui est en chacun, chacune d’entre nous, et on peut y revenir.

Un des secrets d’une vie qui a du sens, c’est d’avoir trouvé le moyen de revenir à cet endroit-là. Dans lequel on peut se ressourcer.

Tu parlais de tout ce qui donne du sens à mon existence. Pour moi, l’amusement fait partie de ce qui donne du sens. De pouvoir trouver le moyen d’allier le fait d’apporter quelque chose au monde. Mais aussi de me mettre en joie, dans des choses qui m’amusent.

C’est une chance, moi ça m’amuse de partager ça. De donner des conférences, d’écrire des livres, de m’intéresser, d’échanger, de partager… C’est quelque chose qui me met en joie.

Et une chose qui, je pense, est aussi importante pour toi, c’est… En tout cas, à chaque fois que j’ai assisté à l’une de tes conférences, il y a ce moment très inconfortable où on est obligé de parler à son voisin. Et si possible pas celui qu’on connaît, mais celui qui est de l’autre côté. La rencontre, la connexion, c’est important pour toi ?

Moi je crois que c’est fondamental. Essentiel. Au niveau personnel, au niveau social, si je regarde ma vie, et les petites choses que j’ai pu réaliser, les endroits où j’ai pu aller, les choses que j’ai pu développer… Tout ce que j’ai pu comprendre, c’est toujours à partir de rencontres.

Et je crois que l’idée qu’on puisse se réaliser soi-même, un peu ce rêve de la « self made women » ou du « self made man », je pense que c’est une illusion.

Dans le sens où, bien sûr, on a besoin de se mettre en route. On a besoin de faire face à des choses, de trouver l’énergie… Tout ça, c’est essentiel. Et en même temps, il y a toujours les autres.

Il y a toujours des mains qui sont tendues, il y a toujours des choses qu’on a reçues. Et parfois, moi, dans ma vie, je ne l’ai pas vu au moment où je l’ai reçu. Mais c’est en me retournant après en arrière, que j’ai vu toute la chaîne d’inter-relations et de personnes à qui je dois tellement pour toutes les merveilles de la vie.

Et je pense qu’on est tous liés, bien sûr. C’est simple, ce que je dis. Ce dont des choses que toutes les personnes qui vont nous écouter savent déjà. On est tous liés.

Et je pense que c’est un facteur de joie profonde, que de regarder tous ces liens.

Dans les pratiques qu’on peut faire, qui nous permettent de cultiver, de revenir à cette source intérieure, à trouver cette attitude dans la vie qui nous amène à mieux pouvoir traverser ce qui est difficile ou à savourer ce qu’il y a de bon, les autres en font souvent partie.

Et donc, juste pouvoir se rappeler les personnes qui sont importantes pour nous. Pouvoir se rappeler les gens qui nous ont fait du bien, qui ont été importants pour nous, qui sont reliés à des sentiments de gratitude.

Même penser à des personnes qui sont importantes pour nous et qui vivent des moments de joie. La réjouissance pour le bonheur d’autrui.

Il y a beaucoup de pratiques qui sont en lien avec les autres. Et je pense que c’est quelque chose qui participe fondamentalement à ce sentiment de sens. D’être connecté. Le lien donne du sens.

Alors je m’adresse au spécialiste des émotions, maintenant. Puisque dans ce que je fais, l’accompagnement de personnes en transition, dans le lancement de nouveaux projets, il y a une émotion qu’on rencontre systématiquement. Cette émotion, c’est la peur. Que ce soit la peur du changement, la peur d’échouer, la peur de réussir, même. Alors quel serait ton conseil pour apprivoiser cette peur ? Ou en tout cas l’empêcher de nous empêcher d’avancer ?

S’il y avait une recette facile, on la connaîtrait déjà.

Dans ce que tu dis, je pense que tout est déjà là, dans « apprivoiser ».

De manière très simple – et peut-être simpliste – ce n’est pas la peur qui nous empêche d’avancer. C’est la peur de la peur. On a peur de tout ce qui pourrait nous arriver. On a peur d’avoir peur.

Si on pouvait déjà regarder les choses en face, identifier le sentiment que l’on a, se rendre compte qu’il est là. Et apprendre à vivre avec.

Une piste qui, pour moi, a été fondamentale, c’est de cesser de vouloir avancer lorsque je n’ai plus peur. Cesser de vouloir aller vers les autres quand je n’aurai plus ce qu’on appelle timidité, ou peur du rejet.

Cesser les conditions. Et se dire une fois que j’aurai apprivoisé, j’irai vers les autres avec ma peur. J’avancerai avec ce qui est là.

C’est-à-dire ne pas attendre que tout soit résolu, ou à l’extérieur ou à l’intérieur, pour commencer à avancer.

Se dire que dans cette imperfection-là, j’apprends à vivre avec tout ce qui est là. Et c’est riche de tout ça que je vais avancer.

Alors c’est plus facile à dire qu’à faire, bien évidemment. Après, il y a plein de pratiques différentes qui nous permettent de le faire. Des pratiques qui ressembleraient à l’attention, à la méditation. Qui sont : comment est-ce que je peux identifier dans mon corps, cette peur-là. Pour que ça ne reste pas quelque chose juste dans la tête.

Sortir de la tête, revenir au corps. Il se passe quoi, quand j’ai peur ? C’est où que c’est tendu ? Où c’est contracté ? Qu’est-ce qui se passe ? Où est le recul ? Et ainsi de suite.

Et comment je peux prendre le temps, d’abord, de le reconnaître ? Apprendre à donner de l’attention et de la bienveillance à ça. Et puis, en étant à l’aise avec mon malaise, avancer avec ça.

Je pense, c’est cesser cette idéalisation qui est : je devrais d’abord me débarrasser de quelque chose avant d’aller vers autre chose. C’est plutôt faire avec.

C’est comme si, finalement, se permettre de la sentir jusqu’au bout, pleinement, alors ça permet d’avancer avec.

Oui ! Être d’accord que c’est une partie de notre vie qui a son utilité.

La peur est un indicateur essentiel qui nous permet aussi de nous diriger. Savoir où sont les dangers, et ainsi de suite.

Bien sûr que la peur trop importante, trop intense, qui nous paralyse, elle n’est pas utile. Mais la peur en elle-même, c’est un indicateur utile.

Donc en lui reconnaissant sa valeur, en la remettant à sa juste place, l’idée c’est de se dire je peux être quelqu’un qui vit cette émotion-là, régulièrement, et ça ne m’empêchera pas d’avancer. J’avance avec la peur.

Pas malgré la peur.

Voilà. Pas contre la peur. Sinon, c’est une lutte intérieure. Et dans la lutte, je perds tellement d’énergie !

Moi, j’ai perdu tellement d’énergie dans ma vie, à lutter contre mes émotions. Alors que j’aurais pu avancer avec elles.

Évidemment, l’idée n’est pas de dire que c’est quelque chose que j’aime. Si je pouvais choisir, bien sûr je choisirais de ne pas avoir tellement de choses dans ma vie. Mais la question est : est-ce que j’ai vraiment le choix ?

Je crois qu’on a davantage le choix de notre relation aux choses. Qu’est-ce que je fais avec les choses extérieures de ma vie ? Qui ne fonctionnent pas comme je voudrais, bien sûr ? Mais qu’est-ce que je fais aussi avec les choses intérieures de ma vie, qui ne sont pas exactement comme je voudrais ?

Et quand je peux traiter cette peur elle-même avec une forme de douceur, ça change peut-être quelque chose.

Rilke a une citation que j’aime beaucoup, très connue, qui dit : « Et si tous les dragons de nos vies – donc ces peurs, ces dragons de nos vies – étaient des princes, des princesses qui attendent de nous voir heureux et courageux ? »

Cette question, ce bonheur qui est peut-être dans ces dragons de nos vies. Ce sont peut-être des cadeaux. Des princes, des princesses. Mais pour avoir ce cadeau, il faut aller dans la grotte, là où ça gronde.

Et c’est peut-être ce que, parfois, je n’ai pas fait. Avoir ce courage d’aller me confronter, aller face à ces émotions. Pour pouvoir les apprivoiser. Et avancer avec.

Il y a un cadeau. Il y a toujours un cadeau à pouvoir aller faire face à ces émotions. Les comprendre. C’est que nos sentiments nous parlent toujours de l’essentiel.

Si j’ai peur, est-ce que ce n’est pas parce qu’une chose est importante ?

C’est comme une pièce de monnaie, avec deux faces. D’un côté il y a cette peur, parfois même cette anxiété. Et j’oublie de retourner en me disant : si j’ai peur, ça me dit quoi ? Qu’est-ce qui est important ?

C’est que derrière chaque peur, il y a le désir de prendre soin de quelque chose. Et la question, c’est si je m’arrête à la peur, paralysé par ça, ça ne fonctionne pas. Mais si je peux prendre le temps de regarder la peur, en prendre soin, comme d’un animal blessé, puis je peux retourner la pièce en me disant : quel est le désir derrière la peur ? Qu’est-ce qui est important pour moi ? De quoi est-ce que j’ai envie de prendre soin ?

Alors je mets mon énergie non pas dans supprimer la peur, je mets mon énergie dans aller vers ce qui est important.

Donc c’est une bonne nouvelle, si dans chaque peur il y a un désir. Chaque peur m’indique une direction où aller.

Et à nouveau, pour les personnes qui nous écouteraient, bien sûr que ça peut paraître simpliste. Que ce n’est pas si évident quand la peur est paralysante. Quand c’est un dragon immense, qu’on a l’impression qu’il va nous emporter. C’est comment je peux, à petits pas, aller vers ça. Apprivoiser. Regarder. Retourner, et vois où est le désir, où j’ai envie de mettre mon énergie.

Ne pas mettre contre, mettre avec.

Pour revenir à la question des émotions, il y a une attitude fondamentale de reconnaître ce qui est là. Plutôt que refuser.

Je pense que si on veut se mettre en route pour un projet professionnel, si on veut faire quelque chose qui paraît impossible aujourd’hui, il va nous falloir, évidemment, beaucoup d’énergie. Et donc il va nous falloir être réaliste.

Et partir de ce qui est là, c’est toujours ce qui nous rend plus forts. Dire oui à ce qui est là.

Et dire oui à ce qui est là, ce n’est pas oui, parce que j’aime souffrir, j’aime être dans une situation difficile. C’est regarder les choses en face. Oui, c’est comme ça. Oui, ma vie est dans cet état-là aujourd’hui.

Ce oui est libérateur dans le sens où, en partant de ce qui est là, même si la pièce dans laquelle je suis est dans un état difficile, c’est en regardant la chose comme elle est que je peux alors voir qu’il existe plein d’autres perspectives possibles.

Si je suis comme une guêpe, dans une pièce où il y a une fenêtre fermée, c’est pas en me tapant contre la vitre, en me disant « je ne devrais pas être ici », que je vais pouvoir sortir. Ça demande ce oui, c’est bouché pour l’instant. Oui, cette vitre est là, j’ai ce sentiment-là.

Ça permet à la suite de prendre du recul et de voir qu’à côté, il y a une fenêtre qui est ouverte. Ou de se dire qu’il y a mille autres possibilités.

Je pense qu’il y a ce oui, reconnaître ses émotions, en prendre soin, me traiter moi-même avec bienveillance. Traiter ma propre vie intérieure avec douceur et bienveillance.

Et j’ai le sentiment – tu me corrigeras si ce n’est pas le cas – que ceux d’entre nous qui sont en difficulté, même en burnout, il y a souvent une forme de dureté envers nous-mêmes, dans ces moments-là.

Beaucoup de jugement.

Voilà. Est-ce que ce n’est pas dur, le jugement ? C’est blessant envers nous-mêmes.

On doit prendre ce recul, mettre de la douceur. Et puis, peut-être, changer de perspective.

L’idée, pour moi, c’est pas tant de se dire qu’il y a quelque chose de positif qu’on peut voir directement dans la situation. Je pense que ce n’est pas toujours possible. Et il n’y a pas à s’en culpabiliser.

Mais se dire qu’une perspective, ça nous limite terriblement. Deux, c’est déjà mieux. Trois, quatre, cinq, la liberté commence là.

Et donc, si on pouvait avoir autant de perspectives que possible. Se dire : quelles sont toutes les manières possibles que je peux avoir de voir la situation ? Pas spécialement en positif. Mais toutes les différentes.

En multipliant les perspectives, en changeant de perspective, je me donne davantage de possibilités.

Il y a beaucoup d’outils pour ça : voir la situation de mon point de vue, et me mettre à la place de quelqu’un d’autre, en face de moi. Puis me dire, peut-être c’est trop binaire, ça. Une troisième personne, elle verrait ça comment ?

Puis je peux me mettre à la place d’une dame un peu plus âgée. Un peu l’archétype de la sagesse. De la vieille dame sage.

Je peux me mettre à la place d’un enfant. D’un extraterrestre, d’une extraterrestre. D’un animal. Même si je ne sais pas ce que verrait un animal. Mais si j’étais une mouche qui verrait ça. Ou un écureuil, ou un chat, ou un chien, ou un singe, ou un tigre… Ça me donnerait quoi ?

C’est moins la vérité d’une autre perspective que la possibilité qu’on a de se décentrer. Et se décentrer, c’est tout à coup, je peux voir les choses autrement. Là où je ne voyais que fermeture et manque d’horizon. Tout à coup, peut-être qu’il y a d’autres choses qui peuvent se manifester.

C’est une deuxième possibilité.

Donc il y a apprivoiser, il y a le changement de perspective, et puis il y a aussi le fait de se dire « je peux nourrir le positif, même quand tout semble aller mal ».

Ne pas attendre que ça aille mieux. En me disant, pas d’opposition : j’accueille, je dis oui à la douleur, si elle est là, puis je me dis « qu’est-ce que je peux nourrir de positif ? Qu’est-ce qui va déjà bien ? Quelles sont les petites victoires ? Quelles sont les choses dont je suis fier ? Qu’est-ce que j’ai fait, une petite chose, aujourd’hui, dans le sens de mon objectif ? Et comment est-ce que je peux la fêter ? Qu’est-ce qui donne du sens à mon existence ? Quelles sont les choses pour lesquelles j’ai envie de dire merci ? »

Tous ces renforcements-là, c’est aller nourrir la joie, la gratitude, le contentement, l’enthousiasme. À petits pas.

Ce que tu dis là, ça fait partie de la psychologie positive. Aller voir le positif, même s’il y a du négatif. Ce qui n’est pas une façon de faire l’autruche, mais de reconnaître qu’il y a du positif. En même temps, c’est contre-nature, non ?

Oui.

Parce qu’on est naturellement attiré vers le négatif. D’où que les médias véhiculent plutôt le négatif, parce que c’est plus vendeur.

Je trouve ça très déculpabilisant, pour moi en tout cas, de me dire que le fait d’avoir un billet pour le négatif, c’est dû à l’évolution. C’est important de voir ce qui nous menace pour survivre. Donc il n’y a pas à s’en culpabiliser. C’est naturel. Je ne suis pas bizarre. Donc tout va bien.

À partir de là, comme tout va bien, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas quelque chose à changer.

Tout va bien, c’est naturel d’être attiré vers des choses difficiles, négatives. Ça part de quelque chose de positif chez moi. Je suis attiré vers du négatif par du positif qui est l’envie de survivre. Tout va bien pour l’instant.

Après, la question, c’est comment ne pas être absorbé par ça ? Si je suis absorbé par la peur, je finis pas ne plus voir que ce qui me menace. Je n’ai même pas le choix. C’est tout mon système qui va faire ça. Je ne suis même pas coupable de ça.

Donc pour moi, la question est moins de chercher des coupables, soi ou les autres. C’est de se dire c’est comme ça, ça fonctionne comme ça, alors qu’est-ce que je peux faire ?

Et donc pour moi, la psychologie dite positive ne ressemble en rien à une forme d’attitude naïve. Où on verrait les choses en rose quand elles sont difficiles. C’est au contraire être très réaliste. Mais le vrai réalisme, c’est de se dire, ou de reconnaître plutôt que même quand ça va très, très mal, il y a des choses qui vont bien.

Cette psychologie positive est dans l’attention : comment est-ce que je tourne mon regard vers ce qui va bien. Même si c’est petit. Même si c’est minime. Surtout quand ça va mal.

C’est pas même quand ça va mal, c’est surtout quand ça va mal. C’est là que c’est le plus important. Quand tout va bien, au fond, on est déjà tourné vers ce qui va bien. C’est bien ce qui nous permet de dire que ça va bien.

Je dirais que cette question est double. Quand je vais bien, bien sûr que je vois ce qui va bien. Ce qui est merveilleux. Mais c’est comment est-ce que je continue à nourrir mon attention.

Des pratiques qui permettent de nourrir ce terreau de résilience, ce serait un peu comme dire : le jardin qui est là, quand tout va bien, j’ai des légumes. J’ai des fleurs. Tout va très, très bien. Mais ce ne serait peut-être pas la chose la plus intelligente d’arrêter de cultiver.

Si je prends soin du jardin quand tout va bien, non seulement la terre est plus meuble. Et puis je continue à connaître ce jardin. À voir où aller. À savoir où sont les endroits qui ont plus besoin de soins.

Ce qui fait que quand ça va moins bien, non seulement je n’ai pas négligé mon jardin, mais je sais, et ce sera plus rapide de le remettre en état. Donc je cultive cette résilience.

Il faut, je pense, beaucoup moins d’énergie à tenir un jardin en état, que partir d’un jardin qui a été abandonné.

On abandonne souvent les jardins dans deux situations : quand tout va plus ou moins bien, et qu’on est tellement pris par les habitudes qu’on oublie de prendre soin du jardin intérieur. Ou quand ça va trop mal et qu’on n’a plus l’énergie pour prendre soin du jardin intérieur.

Alors comment continuer à faire ça ? Et donc à regarder : le jardin paraît dévasté, et pourtant il y a cette fleur qui pousse là. Il y a cette plante-là, il y a ce germe qui est là. Comment est-ce que je peux en prendre soin ?

Le regarder, pour trouver du courage, de l’inspiration, de l’énergie, de l’enthousiasme. Pour continuer à avancer.

Donc pour moi, c’est très réaliste.

Et entretenir un jardin, justement, ça peut demander d’acheter l’un ou l’autre outil, du terreau, une plante, des graines à semer… Je pense à ça parce que quand on parle du jardin intérieur, ça peut demander – ça demande même souvent – d’investir sur soi. Que ce soit de l’argent, du temps, de l’énergie. Ce qui s’assortit très souvent d’un sentiment de culpabilité. Je sais que tu n’es pas d’accord avec ça, mais j’ai envie de t’en entendre parler.

Je suis tout à fait d’accord avec ça ! C’est comme ça que ça arrive. Et ce sentiment de culpabilité vient aussi de quelque chose de positif, au fond.

C’est qu’on a envie de prendre soin des autres. On a envie d’être généreux. Mais ça vient d’une méprise.

C’est comme si on était moins altruiste. Comme si on était égocentrique en prenant soin du jardin intérieur.

Alors que si je veux offrir des légumes à manger à quelqu’un, il faut bien que je les cultive d’abord. Donc cette générosité, elle commence peut-être là, au cœur de nous-mêmes.

Lorsque je suis reconnecté à ma source intérieure, je peux permettre à d’autres personnes de boire. Si je suis moi-même assoiffé, ça va faire un assoiffé ou une assoiffée en plus dans ce monde.

Donc oui, je reconnais bien ce que tu dis, on a souvent cette culpabilité-là de prendre soin de nous. On a cette image de la méditation, de ce genre de pratiques, comme si c’était une forme de nombrilisme malvenu.

Pour moi ça n’a rien de nombriliste. C’est habiter le monde. Prendre soin de l’endroit dans lequel j’accueille les autres. En fait, c’est prendre soin de l’endroit où j’accueille le monde. Je ne vois pas très bien comment je pourrais le dire autrement.

Ça me paraît être un acte de vraie générosité. De vraie bonté, qui ne peut commencer que là où nous sommes.

Je pense que Jon Kabat-Zinn, le fondateur de la pleine conscience scientifique contemporaine disait ça. Cette douceur, s’abstenir de juger, c’est un acte de bonté fondamental. Envers soi-même d’abord.

Donc tu peux retourner ce côté : non, ce n’est pas égoïste de prendre soin de soi, c’est là que commence la générosité.

Complètement. Je suis cent pour cent d’accord. Elle commence là.

Parce que ce qu’on appellerait égoïsme, pour moi, ce n’est pas prendre soin de soi. C’est par exemple lorsque je vais aller marcher dans les plates-bandes du jardin de mon voisin sans y faire attention. Mais ça n’a rien à voir avec prendre soin de mon jardin intérieur.

Lorsque je suis déconnecté de ma propre vie intérieure, de ma propre joie, de ma propre empathie, alors je risque d’avoir des comportements qui nuisent aux autres. Sans même m’en rendre compte. Cette forme d’égocentrisme-là. Qui, il est vrai, peut causer du tort. Aux autres et à moi-même. Ça n’a rien à voir avec le fait de prendre soin de soi.

Alors évidemment il y a parfois le regard des autres. Et je pense que là aussi, pour les personnes qui sont engagées dans un changement de vie, un nouveau projet, il y a cette question de se libérer de cette comparaison sociale, du regard des autres.

Comme toujours, quand on s’intéresse à l’humain et au développement personnel, ce n’est jamais quelque chose de noir ou blanc.

Parce qu’autant il est important de se libérer du regard des autres, du qu’en dira-t-on, sinon je n’avancerai jamais.

Dans la Grèce Antique, on proposait aux élèves en philosophie de se promener avec un poisson mort sur la place publique. Évidemment qu’on allait être considéré comme un fou. Mais pouvoir être considéré comme un fou et ne pas y porter tellement attention me permet de continuer à avancer.

Et en même temps – c’est toujours un « et » – c’est tellement important de faire attention aussi à ce que disent les personnes importantes, notre famille et ainsi de suite. Parce que c’est le feed back des autres qui nous permet aussi de nous corriger.

Donc c’est les deux. Et comment trouver le moment juste. Il y a des moments où c’est important de ne pas… Quand c’est, ce… Je pense qu’on peut le reconnaître. Quand le regard critique des autres est mon propre regard critique. La petite voix critique qui me descend tout le temps. Qui dit que je ne suis jamais assez bien, jamais assez juste. Que je ne réussirai jamais.

Cette voix-là, je pense que c’est important de la laisser parler. Et de continuer à avancer.

Après, quand quelqu’un d’important nous dit « tiens, je pense qu’il serait important que tu fasses attention à ça », dans mon cas, quand je n’ai pas écouté, ça n’a pas été vraiment utile.

Ok. Alors ma question conclusion c’est, en pensant à quelqu’un qui manque de sens, qui manque de joie dans sa vie, tout ça, et qui ne sait pas quoi faire d’autre. Ou qui a peut-être trop peur pour passer à l’action. Quel serait ton conseil à toi pour cette personne ? Pour au moins démarrer quelque chose, se mettre en mouvement ?

Pour se mettre en mouvement et démarrer, je dirais, comment mettre du sens dans ce qui est déjà là.

Parfois, il ne faut pas faire tout de suite le grand changement. Le grand changement est parfois important. Il viendra au moment juste. Mais comment mettre du sens directement ?

Il y a plein de manières différentes. Des millions de manières de le faire. Parmi elles, il y a, déjà, mettre de la présence dans ce que je fais. Comment est-ce que je peux davantage être réellement présent ? Concrètement. Physiquement.

Comment est-ce que je peux être plus présent dans les transports en commun ? Dans les files d’attente ? Dans tous ces moments « perdus » ? Qui peuvent être des moments gagnés lorsque j’y mets vraiment de la présence.

Il y a aussi, être davantage attentif à ma motivation. À mon intention réelle. Qu’est-ce que je nourris lorsque je suis en action ? J’essaie de trouver un exemple concret mais…

Il y a beaucoup de choses dans mon existence qui peuvent me paraître… Beaucoup de gens me disent : « Je suis bien obligé de faire ce que je fais. Je suis obligé de faire ceci, je suis obligé de faire cela. Obligé de remplir ma déclaration d’impôts. De faire ce travail qui ne m’intéresse pas. » Et ainsi de suite, « je suis obligé ».

Et la question – avec beaucoup de respect pour des gens qui ont des vies difficiles – c’est se poser la question de remplacer, ou d’essayer de remplacer « je dois » par « je choisis ».

Pourquoi est-ce que je choisis de faire ce que je fais ? Peut-être que je choisis, momentanément, de faire ce travail un peu moins intéressant. Parce que pendant que je le fais, je m’intéresse à autre chose. À la permaculture, au développement personnel… À autre chose qui me permettra de me reconvertir.

Et donc plutôt que de me dire je suis obligé de perdre mon temps à faire cette chose pas intéressante en attendant enfin de vivre, c’est me rendre compte que pendant, le fait même de faire ce travail qui ne me paraissait pas intéressant, me permet de m’intéresser à autre chose. Donc je nourris quelque chose de positif.

Je prends un exemple bateau : si je fais à manger. Je suis à la maison, je fais à manger pour ma fille et ma compagne. Est-ce que je le fais parce que je dois le faire ? Parce qu’il faut bien que ce soit un jour moi qui doive le faire ?

Ou est-ce que je dois me concentrer sur le fait que l’intention, ce n’est pas seulement de nourrir physiquement ce corps, c’est prendre soin de personnes que j’aime.

Évidemment que ce n’est pas un coup de cuillère à pot qui transforme tout. Mais c’est tellement différent pour moi de faire les choses parce que je les choisis que parce que je dois les faire.

J’ai remarqué que les personnes qui allaient bien, qui étaient pleines d’enthousiasme dans la vie, c’était moins… C’était pas seulement, en tout cas, la nature de l’activité. Que leur manière d’habiter l’activité.

Et de pouvoir être concentré sur « qu’est-ce que je nourris, quand je fais cette activité-là ? »

Et puis il peut y avoir toute la créativité qui me permet de vivre les activités autrement. De les enrichir.

En même temps, de me dire, si j’ai un projet de vie, quelque chose d’important, au fond, qu’est-ce que ça nourrit ? Quelles sont les valeurs fondamentales pour moi ? Quelle est la direction vers laquelle j’ai envie d’aller ?

Et plutôt que d’avoir – à nouveau, je dis ça sous contrôle de ce que tu connais mieux que moi – je me dis parfois, on est obsédé par des éléments très, très concrets, dans le détail. Et puis on se dit « ma vie ne ressemble pas à ce à quoi elle devrait ressembler ».

Plutôt que de se dire : voilà le type de vie vers lequel j’ai envie d’aller. Voilà le type d’expérience que j’ai envie de vivre. D’enthousiasme, en lien, qui prenne soin des autres, de la nature, dans la créativité…

En étant présent à ça, à cette intention profonde, comment tous les jours je fais des petites choses qui m’amènent vers là.

Donc plutôt que d’attendre, pour être heureux, d’y être arrivé c’est, quelles sont les petites choses. Et comment je me nourris par ces petites choses-là. Au quotidien, je me nourris de ce que je fais déjà.

Ça ressemblerait à ce qu’on a dit un peu plus tôt dans notre conversation, qui est : je mets ce cap-là. Il est important. Je mets un cap.

Mais après, c’est comme je laisse tomber les attentes. C’est très paradoxal, au fond.

J’ai besoin du cap pour me mettre en route. Et puis après, une fois que je suis en route, ça me paraît une sagesse fondamentale pour les personnes – pour moi, pour commencer – mais pour les personnes en transition, ou en chemin, c’est comment est-ce que j’accepte que je ne contrôle pas le monde ?

Tout ce que je peux faire, c’est faire du mieux que je peux. Et donc au quotidien, faire des petites choses. Des petits pas.

Et si je peux me contenter de ça, non pas dans le sens négatif du terme « contente-toi du tout petit peu que tu as », mais dans le sens merveilleux du terme qui est le contentement.

Je suis content de l’action elle-même. Chaque action que je mets en place pour nourrir ce qui est important pour moi me contente. Je n’attends rien pour être déjà dans la joie.

Et ce n’est pas en opposition à vouloir construire de grandes choses, transformer, me mettre en route.

Au contraire, ce n’est pas en opposition parce que c’est le fait d’être en chemin, mais d’avancer sur le chemin. Pas de s’assoir et d’attendre que le sommet vienne à nous.

Et j’ai l’impression que les burnouts – c’est très caricatural ce que je dis, en vrai c’est toujours plus complexe – viennent d’un grand nombre d’attentes, d’exigences que je me mets.

J’ai tellement d’attentes, d’exigences que je ne remplirai jamais… Je finis par me vider. Le contentement, c’est comment je peux nourrir, continuer à me nourrir, tout le temps, par ces petites choses.

Et parmi toutes ces choses qui me nourrissent, qui nourrissent le sentiment de bonheur, il y a ces choses toutes simples qui sont : prendre soin de moi, qui n’est pas une chose égoïste. Comment je peux prendre soin de ma vie intérieure. Cultiver ce jardin intérieur.

Prendre soin de cette dimension spirituelle, prendre soin de mon propre esprit, qui est le lien avec soi-même.

Puis des choses toutes simples : prendre soin des relations. Si je veux participer à un monde qui soit une planète plus juste, une société plus juste, ça commence par mes relations avec les autres.

Bien sûr, ce n’est pas arriver quelque part… Très régulièrement, je me rends compte que j’ai des comportements, avec d’autres personnes, qui ne sont peut-être pas la manière la plus juste. Comment je peux changer ça ? Prendre soin de la dimension relationnelle. Des autres. Ce lien merveilleux.

Et puis le troisième élément : prendre soin de la nature. Comment je peux, par ce lien avec cette nature dont je fais partie, aussi nourrir le sens ?

Dans ces trois dimensions, je peux nourrir le sens de mon existence.

Et aller, en tout cas vivre une vie qui me donne le sentiment, joyeux, qu’elle vaut la peine d’être vécue.

Une chose qui me semble importante aussi, qui est ce grand paradoxe de la femme, de l’homme, qui est : et en même temps il est important de cultiver, d’aller vers, se mettre un cap. Et en même temps, il est important de reconnaître, pour moi, qu’il y a une dimension en nous, une perspective en nous, où tout va déjà bien. Et de pouvoir s’y ressourcer.

C’est en ça que les pratiques de méditation, spirituelles… sont importantes. Elles nous connectent à une dimension qui est cette source-là.

Et cet endroit, cette source elle n’est pas à résoudre. Elle n’est pas à transformer. On ne peut pas la rendre plus belle. C’est ce que disent, je pense, toutes les traditions – que ce soient les traditions bouddhistes ou autres – qu’il y a en nous, quelque part, un endroit, fondamentalement, beau, lumineux, auquel je peux me ressourcer, duquel je peux rayonner aussi dans le monde.

Il y a une période de ma vie où il m’est arrivé de travailler avec des personnes qui n’avaient pas d’emploi. Ou qui voulaient se reconvertir… Une des choses que je travaillais avec elles, c’était on prenait quelques feuilles de papier et on se mettait à écrire ou dessiner l’objectif de la personne.

Je me rendais compte à quel point on peut vite être prisonnier de choses trop précises. Et je disais, ce qui est important c’est mets-toi dans la situation et décris-moi le genre d’expérience que tu vis.

Qu’est-ce que tu vis comme expériences, qu’est-ce que tu nourris ? Qu’est-ce que tu vis qui est important pour toi ? Et c’est ça qui est important.

Et puis l’écrire dans un cahier. Vraiment, le noter. Et parfois, encore mieux, le dessiner. Puis après, chaque jour faire cette petite chose pour aller dans cette direction.

J’ai été surpris du nombre de personnes qui me disent : « Tiens, après un concours de circonstances de vie parfois complètement incroyables, où j’étais très, très loin de ça, pour finir, aujourd’hui, je peux dire que vraiment, ça correspond à ce que j’avais envie de vivre. Non pas dans les détails. Mais c’est vraiment ce type d’activité-là. Je suis en lien avec les autres. Je contribue. En plus je voyage. » Et ainsi de suite.

Parfois, ce qui est très intéressant, c’est que la personne que je voyais après me disait : « Ce qui était juste pour moi à ce moment-là, ce n’est plus ce qui est juste aujourd’hui. Les choses changent. Mon existence change. Ma manière de voir les choses change. J’ai dû me réadapter. »

Tout change, disaient déjà les… De nouveau dans la Grèce Antique, Eraclite disait : « Tout coule. » La question, c’est comment est-ce que je peux…

Oui, je pense aussi. Par rapport à ça, c’est une manière qui me parle parce que si on se limite à des choses très concrètes et précises, souvent on se limite. Ou on rêve petit. Alors qu’on ne se rend pas compte qu’on peut avoir de belles surprises quand, juste, on ouvre un peu les portes.

C’est ce que me disait un jour un ami, parlant de quelqu’un de célibataire : « Si tu as clairement en toi le type de relation que tu veux vivre… »

Souvent, quand on a une rupture, d’abord je sais ce que je ne veux plus. J’ai l’autre côté de la pièce. Et j’oublie d’aller regarder… Si je ne veux plus ça, si je reste à ce que je ne veux plus, je reste dans la peur.

Et donc j’ai tous mes signaux d’alerte allumés. Et parfois, j’oublie de regarder ce que je veux.

Qu’est-ce que je veux ? J’ai peur de ça, qu’est-ce que je veux ? Nourrir ce que je veux.

Et puis une fois que c’est ça, savoir le type de relation est important. Parce que si je reste accroché uniquement à ce que j’ai perdu, par exemple. De manière très, très précise. Et que je recherche ce que j’ai perdu, c’est pas possible.

Parce que ce qui viendra, fondamentalement, même si c’est exactement ce qu’il me faut, sera toujours différent. De ce qui était là avant.

Et donc si je vis en cherchant le futur avec les lunettes du passé, je risque de ne pas voir, devant moi, le cadeau qui se présente aujourd’hui.

Donc la question c’est comment, en même temps, je peux être d’accord que la peur est là. Comment je peux retourner la pièce, en me disant qu’est-ce que je veux ? Et puis comment est-ce que je peux être ouvert à ce qui est important pour moi. Sans être limité.

Et au nouveau.

Voilà. Et au nouveau. À la magie. Aux cadeaux de la vie.

Le cadeau, c’est bien ce que ça dit : le cadeau, c’est ce qui est donné. Donc je ne peux pas exiger quelque chose. Sinon, ce n’est plus un cadeau, si je l’exige.

Donc c’est vivre de cette manière ouverte, enthousiaste, active. Et en même temps ouverte aux cadeaux.

Réceptive.

Exactement. C’est ce mot-là qui manquait, réceptive.

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